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Dream Brother [PV Zach] Empty Dream Brother [PV Zach]

Message par Alice Mar 21 Avr - 2:43

Je peux plus y arriver seule. Cette évidence me tire la manche depuis déjà quelques semaines, mais elle s’impose un matin avec une assurance de vieille femme, comme si elle avait toujours été là. Je ne peux plus y arriver seule. Ma mère n’est plus ma mère, plus complètement et plus tous les jours. Le Crystal a altéré jusqu’à son nom, dont il ne reste plus que trois petites lettres en fin de course, syllabe à bout de souffle encore accrochée aux basques de cette fausse identité.

Ma dernière visite a été trop éprouvante. Elle me manque à m’en faire mal, et la voir ne fait que creuser plus profond l’empreinte qu’elle a laissée en moi. Sa personnalité ne ressurgit plus que dans certains détails infimes que je m’acharne à chasser. Sa force est absorbée dans un art qui lui ressemble tout en me restant étranger. Je deviens folle à vouloir la ramener.

Elle est trop loin, et j’ai besoin d’aide. J’ai besoin d’aide. Je me lève avec cette pensée et la mastique en même temps que mon déjeuner. Quand elle s’est fait arrêter, j’ai dû déménager. On était repérées, je ne pouvais plus rester dans le même coin des ruines. À ce moment déjà, instinctivement, je me suis rapprochée de la vieille gare. C’était un hasard, vraiment, mais j’aime y voir un signe de Gaïa.

Dorian, un coursier avec qui je bosse, m’a rencardée sur ce squat occupé par d’autres coursiers, où une chambre venait de se libérer. Un endroit bruyant et crado, habité par trois courants d’air : Sendak, un grand type complètement obsédé par son vélo, toujours absorbé dans de glorieux projets d’amélioration, dont l’unique sujet de conversation tourne autour de pignons et dérailleurs. Coursier par amour du deux-roues et extrêmement compétitif, nos seules interactions se résument à une course occasionnelle dans le dédale des ruines. Pour l’instant, nous nous reposons sur une égalité précaire : j’ai gagné une course, lui aussi, et nous maintenons ce confortable status quo en l’attente d’un troisième affrontement que nous rechignons encore à organiser.

Les deux autres, Dina et Kali, sont sœurs. Dina est toute en jambes, avec une musculature sèche forgée par des années agrippées à son guidon. À 30 ans, c’est la plus âgée du squat. Elle ne parle pas beaucoup, et peut être est-elle un peu brusque, mais j’éprouve pour elle une sorte de respect admiratif, parce qu’elle a toujours l’air de savoir ce qu’elle fait. Kali est plus jeune et plus ronde, et se déplace avec une fluidité presque aquatique. Elle semble timide et réservée au premier abord, mais possède des opinions sur tout et n’hésite pas à les exprimer quand elle le juge nécessaire. C’est avec elle que je m’entends le mieux.

Pourtant, aucun d’entre eux n’est au courant pour ma mère. C’est pas que je leur fais pas confiance, mais après tout ce qui s’est passé, j’ai enfin compris qu’Andreas était un homme aux moyens redoutables. Je sais aussi qu’il veut me retrouver, et je ne peux pas le risquer. Ma mère a besoin de moi. Mais il y a des gens sur qui je peux compter, des gens qui connaissaient Liane, des gens qui me connaissaient. Une communauté qui ressemblait à une famille élargie… La Rébellion. Depuis notre retour, nous ne les avions jamais recontactés. Trop dangereux. Trop douloureux. Mais c’est surtout pour cette dernière raison que j’ai attendu plusieurs mois après l’enlèvement de ma mère pour prendre cette décision.

Ce matin, j’arrive pas à finir mon petit-déjeuner à cause de la boule qui s’est formée dans ma gorge. Et pourtant, à la seconde où mon esprit s’arrête finalement sur ce choix nécessaire, c’est l’impatience qui domine. Je le savais pas jusqu’à présent, mais c’est devenu clair. Je veux revoir la gare. Je veux revoir notre ancienne maison. Je veux ramener un souvenir de cette vie dont je n’arriverai, quelque chose, n’importe quoi. Est-ce que Romani habite toujours là-bas ? Est-il toujours vivant ? Je ne pourrai pas le voir. J’en suis pas capable. L’angoisse et l’impatience se disputent mes entrailles, et je finis par vider mon fond de café dans l’évier.

J’attrape une veste au vol et descends les quatre étages tagués et défoncés qui me séparent de la rue. Mon vélo est caché dans une cour arrière envahie par la végétation, pour éviter de me le faire chourer, puisque tout antivol est généralement inutile dans le coin. T’as toujours un type avec le bon pouvoir qui traîne dans le coin. Mon vieux clou rouillé ne vend pas du rêve, mais c’est mon outil de travail. Je l’enfourche lestement et m’élance comme une dératée dans les rues chaotiques des ruines.

Ici, les nids de poules ressemblent à des cratères, et, partout, Gaïa clame son dû sur le béton. Mais je sais parfaitement où je vais. Les courants magnétiques étendent leurs ombres sur la terre, et je n’ai qu’à suivre ces courants invisibles jusqu’à ma destination. En m’approchant de la gare, je ralentis l’allure : le terrain est dangereux, si j’étais Andreas, j’aurais fait surveiller cette zone. Et puis j’appréhende tout de même de revoir les lieux. La gorge contractée, je dissimule mon vélo sous un rideau de lierre couvrant un muret et continue à pied.

Finalement, je n’y tiens plus. Profitant d’une ruelle déserte, je me débarrasse de mes vêtements et les fourre dans mon sac à dos, que je cache derrière un gros container éventré, puis je me glisse dans la fourrure de ma forme animale. À ras du sol, le monde semble différent, plus grand, mais également plus accueillant : une fracture dans un mur est un refuge, un trou dans un grillage est un portail, une gouttière est une échelle et les toits sont un royaume à part entière.

Mes pattes foulent silencieusement l’asphalte humide, je ne suis plus qu’instincts et sensations. Recroquevillée en position fœtale dans un recoin de mon petit cerveau, ma conscience léthargique ne peut plus se concentrer que sur l’essentiel. L’angoisse m’a quittée, le chagrin aussi. La Gare est mon objectif, que je rejoins à pas de velours, me fondant dans ce paysage urbain presque aussi bien que dans la jungle.

Je décide de commencer par le plus dur : retrouver notre ancien foyer. Passe ce douloureux pèlerinage, j’aurais l’esprit plus léger pour trouver l’aide nécessaire. Le petit appartement en rez-de-chaussée se trouve de l’autre côté des rails, que je traverse en trois bonds. Les moustaches frémissantes, je passe finalement la porte et pointe un regard curieux sur les alentours. Rien ne semble avoir changé… Je balaye la première pièce de mes yeux fauves.

Tout est identique, mais ce n’est pas tout. Les odeurs sont fraîches, la poussière ne s’est pas déposée sur les quelques meubles rustiques… Quelqu’un vit ici. Un vent de panique couche mes oreilles, avant que mon embryon de conscience reprenne le dessus. C’est sûrement Romani. Aux aguets, une patte en suspend, je passe de longues secondes à écouter le silence. L’endroit est vide.

Trottinant silencieusement, je me dirige d’abord vers l’ancienne chambre de ma mère. Rien n’a bougé, à l’exception de quelques bricoles entreposées là. Je n’entre pas. Je ne prends rien. C’est ma mère que je veux, pas un souvenir, et je la retrouverai. Battant l’air de ma queue, je pivote et repars dans le couloir. La porte est presque fermée. Je la pousse du museau, retenant mon souffle. Le cœur d’un ocelot aussi peut se briser, ce qu’il fait silencieusement tandis que j’avance dans la chambre, assaillie de fragrances familières, si puissantes qu’on pourrait croire qu’il n’est jamais parti. Là non plus, rien n’a changé. Tout est en place. Les draps de son lit sont chiffonnés. Je résiste à l’envie d’aller m’y lover.

À la place, je bondis souplement sur sa commode et hume les objets qui s’y alignent. Une moto miniature achetée il y a quelques années dans la rue à un type qui fabriquait des trucs en matériaux de récup. Un joli galet marbré ramassé au bord de la rivière, près de la forêt. C’était une après-midi interminable d’été, on avait fait des ricochets les pieds dans l’eau, et bien sûr ça avait dégénéré en bataille d’éclaboussures. Trempés et hilares, on s’était allongés sur les grosses pierres qui bordent le cours d’eau, et on avait attendu de sécher en discutant de trucs et d’autres.

J’avais peut-être douze ans, c’était avant tout, avant que les questions ne viennent emplir ma tête, avant qu’on s’évite et qu’on se cherche, quand la vie semblait simple et éternelle. Je saisis délicatement la pierre dans ma gueule, renonçant à prendre forme humaine pour fouiller dans les tiroirs. Je serais tentée de prendre un t-shirt, et ce serait beaucoup trop difficile. Je préfère rester sur la neutralité d’un petit caillou et d’un souvenir d’enfance.

Malgré l’envie qui me tenaille, je ne m’attarde pas plus longtemps. Bientôt, je suis de nouveau sur les vieux rails recouverts d’herbe, et commence à contourner le bâtiment de briques rouges pour trouver l’entrée de la gare. Quelque part, pas très loin, un engin vrombit à s’en faire péter le pot d’échappement. Je suis irrésistiblement attirée par ce rugissement, et peu pressée de réellement me lancer dans la mission assignée ce matin, je choisis de trouver la source du vacarme.

Quelque cent mètres plus loin, sur une petite place vandalisée, un motard se cabre au centre d’un cercle de badauds enthousiastes. Je voudrais poursuivre ma route sans plus m'en soucier, mais quelque chose me retient et j’ai du mal à détourner les yeux. Le mec, casqué, enchaîne dérapages et rotations enfumées, sous les cris et applaudissements de ses spectateurs.

Je reste un peu en retrait, mes taches voyantes bien dissimulées dans l'ombre entre deux murs, mais finis par me jucher en quelques bonds agiles sur un tas de gravas amassé près d’une façade en décomposition. Je suis ses mouvements des yeux, fascinée. Son style, c’est son style qui me tient en haleine. Il me rappelle Zach, avec ses mouvements nerveux et ses acrobaties spectaculaires. Même son engin, à la carrosserie en patchwork d’autres machines, ressemble tout à fait aux genres de bolides rapiécés qu’il arrivait miraculeusement à remettre sur pied.

Je sais bien que c’est pas lui. Je sais bien que c’est impossible. Je sais bien que je me fais du mal, à rester là et à continuer de mater ce connard masqué qui a l’audace de lui ressembler un tout petit peu, mais je peux pas m’en empêcher. Au fond, je sais bien ce que j’attends. À un moment, il va s’arrêter, et il va l’enlever, ce foutu casque. Et je sais que ce sera pas lui. Je sais que dans un coin irrationnel de mon âme, je serai déçue. Mais je veux le voir quand même.

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