Les tapis roulent sous les pieds de la jeune fille. Ils avancent de leur propre gré. Ils la dirigent sans lui demander son avis. La peur la saisit. Elle tente de se dégager. Elle essaye un saut sur le coté, sur le parquet mais en vain. Le morceau de tissu épais suit ses mouvements avec aisance. Un véritable animal au corps insolite qui court sous ses semelles. Un serpent à la vivacité incomparable. Les portes claquent après son passage. Violemment. A chaque fois. Et elle sursaute sans jamais manquer à l'appel. Elle ne s'y attend pas. Aucune fois. La panique du moment, l'emportement de cet évènement extraordinaire la transporte. Physiquement aussi d'ailleurs. Que se passe-t-il ? Ce lieu est fou. Fou comme ses habitants ! Elle aperçoit les danseurs s'élancer majestueusement du coin de l'œil. Elle voit un pinceau s'écraser rageusement sur une toile. Elle entend une mélodie cacophonique provenant d'un mélange d'instruments harmonieux une fois isolés. Mais tout n'est présent qu'une seconde. Qu'un si bref instant. Les décors passent et repassent. Violet se perd dans ce dédale incroyable. Sa tête tourne. Son orientation en pâtit.

Boom.
Elle s'écrase.
De tout son poids. Elle s'écrase sur le sol dur. Sur les pavés qui mènent à l'entrée du Crystal. Face contre terre, la gamine grimace. Ses mains écorchées se posent maladroitement pour redresser son corps si lourd soudainement. Que vient-il de se passer ? Elle n'est plus si sure. Son esprit a-t-il fabulé ? Ou ses yeux lui ont-ils montré la réalité de cette prison enchantée ?

Les questions demeurent en suspens et Violet se redresse.
Lentement, mollement, Violet se redresse.
Tout son corps craque, tous ses muscles rechignent mais elle se redresse. Essuyant du revers de la main son nez humide, un éclat carmin apparait sur sa peau laiteuse. Super. Exactement ce qu'il lui fallait. La douleur ne tarde pas à accompagner la découverte. Timidement, la brunette touche son nez. Elle en presse l'arête du bout des doigts. Ca fait mal mais pas trop mal. Rien de casser donc. Elle l'espère du moins.

« Tss. »

L'air siffle sur sa langue. Rageant avec elle. Son regard enflammé se tourne vers les portes massives du palace derrière elle. C'est lui qui l'énerve. Pourquoi l'a-t-il jeté dehors comme ça ?! Ramassant un caillou, grimaçant lorsqu'il touche une plaie sur sa menotte, elle le balance avec le plus de force possible contre le bois verrouillé.

« Laisse moi rentrer ! »

Elle approche.
Elle tape du poing.

Rien.

Elle ramasse un bâton qui lui semble solide.
Elle en a vu quelques uns faire ça. Des voleurs. Ils glissent le bout entre les portes puis vlam ! Ils l'ouvrent violemment.
Naturellement, Violet essaye. Elle tente d'enfoncer son morceau de bois, de forcer le passage entre ses portes maudites.

Rien.

Le grognement presque animal qui lui échappe témoigne de sa détermination : Violet Lace insiste.

Une vibration.

Elle continue. De toutes ses forces.

Un claquement. Abrupt. Soudain.
C'est une menace, un avertissement. Elle n'est plus la bienvenue ici, elle doit rester dehors. Encore un essai et la punition ne tardera pas. La sentence est prête à tomber.

Violet Lace hésite. Elle regarde son morceau de bois à peine enfoncé qui commence déjà à se briser. Cette vision la fait soupirer. Tant pis. La brunette abandonne. Son pied frappe violemment la porte une dernière fois, pour l'honneur.

« Je reviendrai ! »

C'est une promesse, et sur cette promesse, Violet se détourne.

Sa marche lente la conduit dans les rues de la ville. Sans but, elle erre entre ces murs parfois familiers parfois étrangers. Ses parents l'attendent surement dans leur belle demeure remplie de tissus aux couleurs affriolantes et de machines à coudre au rythme incessant. La gamine Lace n'a pas envie pourtant. Elle a fui pour une raison et sa colère n'est pas calmée. Ils lui ont menti, c'est un fait indéniable, écrit noir sur blanc.

Dans un soupir, Violet s'arrête. Elle frotte le sang séché sur sa main. Ca la dégoute un peu, mais pas trop parce que c'est le sien. Elle se demande à quoi elle peut bien ressembler comme ça. Le nez en sang, les paumes éraflées, couvertes par des vêtements trop grands empruntés...  Ses doigts se glissent dans ses mèches emmêlées. Un grimace déforme encore son visage. Il y a des nœuds. Elle préfère arrêter de peur d'y coincer sa menotte. Maintenant qu'elle y pense, elle a soif aussi. Sa langue s'accroche à son palais, claquant faiblement. Sa bouche se fait plus pâteuse, plus amère. Sentiment désagréable. Pour ne rien arranger, son estomac décide de se manifester à son tour dans un grondement sourd. Par réflexe, elle y pose sa main, comme pour taire ses grognements. Ses joues rosissent par habitude. Ses iris s'affolent par instinct. Elle observe les environs rapidement. Elle cherche une solution. Quelqu'un qui n'a pas une tête de pauvre ? Ni de psychopathe d'ailleurs. Elle les connait bien leurs visages maintenant, elle revient du Crystal Palace après tout. Tournant un peu sur ses pieds, la gamine fronce les sourcils. S'était-elle fourrée dans le seul coin désert de la ville ? C'était bien sa veine tiens !

Accompagnant son ventre agonisant, Violet grogne un peu. Puis un peu plus fort. Ses jambes se remettent en route. Elle a un but maintenant : trouver à manger. Sans argent ? Elle allait bien réussir à faire pitié à quelqu'un non ? Le sang aiderait, elle en est sure.

Une ombre.
Quelqu'un passe !

Ses yeux s'agrandissent. Un sourire débute sur ses lèvres avant de rapidement disparaitre. Elle accélère. Elle l'approche. Elle lui attrape le bras. Ses sourcils s'affaissent, ses cils se perlent de larmes, ses lèvres esquissent une moue piteuse... L'air du chiot délaissé au fond d'un carton sous la pluie en hiver. Tout un art que la peste maitrise.
Et de sa voix presque brisée, Violet Lace murmure :

« Est-ce que vous pouvez m'aider ? ... S'il vous plait. »